Les capitales occidentales et l’ONU dénoncent un assassinat politique
Très rapidement, dès la confirmation de la mort du charismatique leader de gauche Chokri Belaid, c’est François Hollande qui est parmi les premiers à réagir en dénonçant le meurtre « d’une des voix les plus courageuses et les plus libres » de Tunisie dans un communiqué de l’Élysée. « Ce meurtre prive la Tunisie d’une de ses voix les plus courageuses et les plus libres », estime le président français, qui ajoute que « la France est préoccupée par la montée des violences politiques en Tunisie et appelle au respect des idéaux portés par le peuple tunisien lors de sa révolution » en 2011. Dimanche, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a rappelé que la France est « attentive face à la crise politique en Tunisie, mais qu’il n’interviendra pas dans ses affaires » en réponse aux critiques qui ont suivi une déclaration polémique du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls.
De son côté, Washington dénonce un acte « lâche » et « injustifiable » et réclame une enquête « transparente » sur l’assassinat de Chokri Belaid. Les États-Unis appellent par ailleurs les Tunisiens au calme après les heurts survenus mercredi après midi à Tunis. Autre réaction internationale, celle du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Navi Pillay, qui a condamné mercredi l’assassinat de Chokri Belaïd, secrétaire général du Mouvement des patriotes démocrates et l’un des dirigeants du Front populaire. La diplomate s’est dite « extrêmement attristée » et condamne « une attaque contre le processus démocratique dans le pays ».
Rassemblements spontanés hors de Tunisie
Au niveau politique, Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de gauche française dont une visite en Tunisie était prévue de longue date, a parlé de Chokri Belaïd comme d’« un grand tribun des pauvres, des ouvriers et des femmes ». L’ex-candidat à la présidentielle de 2012 s’est d’ailleurs recueilli sur la tombe du martyr ce dimanche à son arrivée à Tunis.
À Paris, Marseille, Lyon, Toulouse ou encore au Maroc, des rassemblements à la mémoire du martyr se sont rapidement formés à l’appel des réseaux sociaux. Certaines de ces marches se sont dirigées vers les consulats tunisiens pour manifester leur colère contre le gouvernement de la Troïka dominé par les islamistes d’Ennahdha. Sept manifestants, dont trois leaders parisiens du Watad auquel appartenait Chokri Belaïd, et Adnane Ben youssef, secrétaire exécutif de la fédération française du parti Al Jomhouri, ont même observé un bref sit-in à l’intérieur de l’ambassade de Tunisie à Paris.
Un tournant dans la révolution tunisienne pour la presse internationale
Le New York Times commente la situation en estimant que la mort de ce défenseur des droits de l’Homme et la colère de Tunisiens qui a suivi fragilisent un peu plus une société tunisienne déjà en lutte pour préserver son unité. Les espoirs de faire cohabiter identité islamique et sécularisme ont été sérieusement amoindris par cet assassinat, ajoute le quotidien américain dans un éditorial.
Les autres médias internationaux sont également unanimes pour voir dans cet acte un tournant dans la vie politique tunisienne. C’est même le titre qu’a choisi BFMTV pour son article en ligne du mercredi 6 février. L’édition française du Huffington Post a mis l’accent sur la colère des Tunisiens suite à ce drame. Même ton du côté du Figaro pour qui les pionniers du Printemps arabe sont « sonnés » par la mort de ce farouche opposant au gouvernement en place.
Le quotidien belge Le Vif a fait son titre avec une déclaration de Radhia Nasraoui, figure politique proche du défunt, qui estime que « le gouvernement tunisien est responsable de n’avoir rien fait » en allusion aux multiples menaces dont a été l’objet Chokri Belaid. Pour Le Monde, le rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes pour les funérailles (plusieurs centaines de milliers selon certaines sources), était clairement une manifestation anti-Ennahdha.
Condamnation unanime des ONG internationales
De leur côté, les ONG internationales ont été nombreuses à condamner cet assassinat et à exprimer leur indignation. La FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme) s’est dite « sous le choc » et a appelé à prendre les mesures nécessaires pour que « ces crimes ne restent pas impunis et que la violence ne l’emporte pas », par la voix de sa présidente Souhayr Belhassen. Amnesty International a publié un communiqué appelant à faire la lumière sur l’homicide de Chokri Belaïd estimant « une parodie d’enquête ne suffira pas », a souligné Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International
Human Rights Watch, qui présentait – hasard du calendrier – son rapport 2013 le jour même de la mort de Chokri Belaid a également condamné ce meurtre. « Cet assassinat est l’incident le plus grave qui se soit produit à ce jour, dans un climat de violence croissante », a déclaré Éric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW, présent à Tunis ce jour-là.
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme (REMDH), très actif en Tunisie, a quant à lui indirectement rejeté la responsabilité du drame sur les autorités en estimant que « le gouvernement a laissé s’installer un climat d’intimidation et de violences contre le mouvement démocratique tunisien ». Les « attaques répétées des responsables gouvernementaux comme de certains dirigeants du parti Ennahdha désignant Chokri Belaïd comme le principal responsable des manifestations ouvraient la porte à son assassinat », ajoute le Réseau Euro-Med.